"Les Caves du Vatican" d'André Gide



    André Gide
  • Présentation de l'oeuvre

"Les Caves du Vatican" est caractérisée par son auteur comme étant une "sotie" et non pas un roman.

Dans ce récit complètement décousu se trouvent plusieurs histoires croisées, le fait le plus remarquable étant l'étude de l'acte gratuit par le biais du personnage de Lafcadio. C'est de cela qu'il s'agit dans cet extrait, où Lafcadio se retrouve dans le même compartiment de train qu'un parfait inconnu du nom de Fleurissoire.


  • Extrait


Qui le verrait? pensait Lafcadio. Là, tout près de ma main, sous ma main, cette double fermeture, que je peux faire jouer aisément; cette porte qui, cédant tout à coup, le laisserait crouler en avant; une petite poussée suffirait; il tomberait dans la nuit comme une masse; même on n'entendrait pas un cri... Et demain, en route pour les îles!... Qui le saurait?
La cravate était mise, un petit noeud marin tout fait; à présent Fleurissoire avait repris une manchette et l'assujettissait au poignet droit; et, ce faisant, il examinait, au-dessus de la place où il était assis tout à l'heure, la photographie (une des quatre qui décoraient le compartiment) de quelque palais près de la mer.
— Un crime immotivé, continuait Lafcadio: quel embarras pour la police! Au demeurant, sur ce sacré talus, n'importe qui peut, d'un compartiment voisin, remarquer qu'une portière s'ouvre, et voir l'ombre du Chinois cabrioler. Du moins les rideaux du couloir sont tirés... Ce n'est pas tant des événements que j'ai curiosité, que de moi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d'agir, recule... Qu'il y a loin, entre l'imagination et le fait!... Et pas plus le droit de reprendre son coup qu'aux échecs. Bah! qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt!... Entre l'imagination d'un fait et... Tiens! le talus cesse. Nous sommes sur un pont, je crois; une rivière...
Sur le fond de la vitre, à présent noire, les reflets apparaissaient plus clairement, Fleurissoire se pencha pour rectifier la position de sa cravate.
— Là, sous la main, cette double fermeture — tandis qu'il est distrait et regarde au loin devant lui — joue, ma foi! plus aisément encore qu'on eût cru. Si je puis compter jusqu'à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir est sauvé. Je commence: Une; deux; trois; quatre; (lentement! lentement) cinq; six; sept; huit; neuf... Dix, un feu...


Fleurissoire ne poussa pas un cri. Sous la poussée de Lafcadio et en face du gouffre brusquement ouvert devant lui, il fit pour se retenir un grand geste, sa main gauche agrippa le cadre lisse de la portière, tandis qu'à demi retourné il rejetait la droite en arrière par-dessus Lafcadio, envoyant rouler sous la banquette, à l'autre extrémité du wagon, la seconde manchette qu'il était au moment de passer.

Lafcadio sentit s'abattre sur sa nuque une griffe affreuse, baissa la tête et donna une seconde poussée plus impatiente que la première; les ongles lui raclèrent le col; et Fleurissoire ne trouva plus où se raccrocher que le chapeau de castor qu'il saisit désespérément et qu'il emporta dans sa chute.


  • Questions


1) Que fait Lafcadio dans cet extrait ?
2) Pour quelle(s) raison(s) selon lui passe t-il à l'acte ?
3) Pensez-vous que cet acte soit réellement immotivé ?
4) Un acte gratuit est-il possible selon vous ? Si oui, donner des exemples et justifier dans les deux cas (oui et non).

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