- Présentation de l'oeuvre
Alfred Dreyfus était un officier français d'état-major général, accusé à tort d'avoir livré des informations secrètes à un attaché militaire allemand, et condamné à la prison à perpétuité sur l'Ile du Diable en Guyane Française après une campagne de presse à caractère fortement antisémite. La lettre suivante intitulée "J'accuse...!" parue dans le journal "L'Aurore" et écrite par Émile Zola présente les vrais responsables pour ce dernier.
- Extrait
Monsieur le Président,
Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant
accueil que vous m'avez fait un jour, d'avoir le souci de
votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si
heureuse jusqu'ici, est menacée de la plus honteuse, de la
plus ineffaçable des tâches?
Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous
avez conquis les coeurs. Vous apparaissez rayonnant dans
l'apothéose de cette fête patriotique que l'alliance russe a
été pour la France, et vous vous préparez à présider au
solennel triomphe de notre Exposition Universelle, qui
couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de
liberté. Mais quelle tâche de boue sur votre nom - j'allais
dire sur votre règne - que cette abominable affaire
Dreyfus! Un conseil de guerre vient, par ordre, d'oser
acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute vérité, à
toute justice. Et c'est fini, la France a sur la joue cette
souillure, l'histoire écrira que c'est sous votre présidence
qu'un tel crime social a pu être commis.
Puisqu'ils ont osé, j'oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai,
car j'ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie,
ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de
parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient
hantées par le spectre de l'innocent qui expie là-bas, dans
la plus affreuse des tortures, un crime qu'il n'a pas
commis.
Un homme néfaste a tout mené, a tout fait, c'est le
lieutenant-colonel du Paty de Clam, alors simple
commandant. Il est l'affaire Dreyfus tout entière; on ne la
connaîtra que lorsqu'une enquête loyale aura établi
nettement ses actes et ses responsabilités. Il apparaît
comme l'esprit le plus fumeux, le plus compliqué, hanté
d'intrigues romanesques, se complaisant aux moyens des
romans-feuilletons, les papiers volés, les lettres anonymes,
les rendez-vous dans les endroits déserts, les femmes
mystérieuses qui colportent, de nuit, des preuves
accablantes. C'est lui qui imagina de dicter le bordereau
à Dreyfus; c'est lui qui rêva de l'étudier dans une pièce
entièrement revêtue de glaces; c'est lui que le
commandant Forzinetti nous représente armé d'une
lanterne sourde, voulant se faire introduire près de
l'accusé endormi, pour projeter sur son visage un brusque
flot de lumière et surprendre ainsi son crime, dans l'émoi
du réveil. Et je n'ai pas à tout dire, qu'on cherche, on
trouvera.
[...]
[...]
J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d'avoir été
l'ouvrier diabolique de l'erreur judiciaire, en inconscient,
je veux le croire, et d'avoir ensuite défendu son oeuvre
néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus
saugrenues et les plus coupables.
J'accuse le général Billot d'avoir eu entre les mains les
preuves certaines de l'innocence de Dreyfus et de les avoir
étouffées, de s'être rendu coupable de ce crime de lèse-
humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour
sauver l'état-major compromis.
J'accuse les trois experts en écritures, les sieurs
Belhomme, Varinard et Couard, d'avoir fait des rapports
mensongers et frauduleux, à moins qu'un examen médical
ne les déclare atteints d'une maladie de la vue et du
jugement.
Et c'est à vous, monsieur le Président, que je la crierai,
cette vérité, de toute la force de ma révolte d'honnête
homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous
l'ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe
malfaisante des vrais coupables, si ce n'est à vous, le
premier magistrat du pays?
[...]
Voilà donc, monsieur le Président, les faits qui expliquent
comment une erreur judiciaire a pu être commise; et les
preuves morales, la situation de fortune de Dreyfus,
l'absence de motifs, son continuel cri d'innocence,
achèvent de le montrer comme une victime des
extraordinaires imaginations du commandant du Paty de
Clam, du milieu clérical où il se trouvait, de la chasse aux
«sales juifs», qui déshonore notre époque.
[...]
Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est
temps de conclure.
J'accuse le général Mercier de s'être rendu complice, tout
au moins par faiblesse d'esprit, d'une des plus grandes
iniquités du siècle.
J'accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de
s'être rendus complices du même crime, l'un sans doute
par passion cléricale, l'autre peut-être par cet esprit de
corps qui fait des bureaux de la guerre l'arche sainte,
inattaquable.
J'accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary
d'avoir fait une enquête scélérate, j'entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous
avons, dans le rapport du second, un impérissable
monument de naïve audace.
J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir mené dans la
presse, particulièrement dans L'Éclair et dans L'Écho de
Paris, une campagne abominable, pour égarer l'opinion et
couvrir leur faute.
J'accuse enfin le premier conseil de guerre d'avoir violé le
droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée
secrète, et j'accuse le second conseil de guerre d'avoir
couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son
tour le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable.
En portant ces accusations, je n'ignore pas que je me mets
sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du
29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c'est
volontairement que je m'expose.
Quant aux gens que j'accuse, je ne les connais pas, je ne
les ai jamais vus, je n'ai contre eux ni rancune ni haine. Ils
ne sont pour moi que des entités, des esprits de
malfaisance sociale. Et l'acte que j'accomplis ici n'est
qu'un moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion de la
vérité et de la justice.
Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur.
Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme.
Qu'on ose donc me traduire en cour d'assises et que
l'enquête ait lieu au grand jour!
J'attends.
Veuillez agréer, monsieur le Président, l'assurance de mon
profond respect.
1) À qui s'adresse cette lettre ?
2) Quelle est son but ?
3) Quels sont les responsables de cette situation pour Émile Zola ?
4) Recherches : quelles auront été les conséquences de cette lettre pour son auteur ?
- Questions
1) À qui s'adresse cette lettre ?
2) Quelle est son but ?
3) Quels sont les responsables de cette situation pour Émile Zola ?
4) Recherches : quelles auront été les conséquences de cette lettre pour son auteur ?
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